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Interview d'Hélène Nguyên Thiên Dao, épouse du compositeur franco-vietnamien Nguyên Thiên Dao

André Papillon Classe de composition d’Olivier Messiaen, 1968 © succession André Papillon

En 2016, Hélène Nguyên Thiên Dao, épouse du compositeur franco-vietnamien disparu il y a dix ans, a fait don des manuscrits de son mari au Conservatoire de Paris.

Avec pudeur et modestie, elle a accepté d’évoquer le parcours et l’œuvre d’un musicien qui a bâti des ponts entre Orient et Occident.

Nguyên Thiên Dao a quitté très jeune son pays d'origine. Pour quelles raisons est-il venu en France ?
Son père l’a envoyé pour faire des études de médecine. Pour beaucoup de familles au Vietnam, quand on était médecin, on était au sommet de la hiérarchie. Nguyên Thiên Dao a fait une année de médecine. Il n’a pas pu continuer parce que la musique était pour lui plus forte que tout. Il a été obligé de dire qu’il arrêtait la médecine. Son père lui a répondu : « tu fais ce qu’il te plaît mais tu te débrouilles ». 

Sa rencontre avec Olivier Messiaen a été déterminante. Quelle a été son influence sur son travail ? Quelles relations a-t-il entretenues avec lui ?
C’est grâce à Olivier Messiaen et lui seul, qu’il a été accepté dans sa classe de composition. Il avait toujours dans sa tête, dans sa mémoire, dans son oreille, les temps. Ce n’était pas précis, c’était un tiers, un quart, un seizième… Ce n’était pas facile à transmettre et partager avec tout le monde. Messiaen l’a accepté parce qu’il s’était intéressé aux deśītāla-s indiens(1)  et qu’il comprenait cette façon d’enregistrer les sons. C’était, pour Nguyên Thiên Dao, le seul maître. Après avoir écouté cinq minutes d’une proposition, Messiaen l’a accepté en disant : « Je regrette de n’être pas né asiatique ». C’est comme ça qu’en 1968, à la fin de la première année, il est sorti premier de sa classe.

1. Les deśītāla-s sont des cycles rythmiques utilisés dans la musique indienne.

Gio Dong a été créé au Festival de La Rochelle en 1974. Quelles ont été les circonstances de la composition de cette œuvre ?
En 1973, Nguyên Thiên Dao attendait toujours une commande. Il ne pouvait pas écrire correctement une œuvre sans connaître la composition des instrumentistes. Aucune commande n’arrivait. Pour qu’il puisse travailler sans attendre indéfiniment, j’ai proposé de lui passer une commande à un prix très raisonnable. Il m’a dit « Oui, d’accord, je vais m’en occuper » C’est comme ça que Gio Dong, œuvre a cappella, sans instrumentiste, a été donnée en 1974. Il l’a lui-même interprétée à ce moment-là.

Nguyên Thiên Dao considérait qu'il n'existait pas d’opposition majeure entre musique occidentale et orientale. Cette idée reste originale. Il n’existait pour lui « qu’une musique ». Pouvez-vous développer la conception qu’il en avait ?
Je pense qu’il a toujours été en contact d’abord, bien sûr, tout petit, avec la musique traditionnelle vietnamienne. Quand il est allé à l’école française, il a aussitôt été en relation avec la musique occidentale et française en particulier. Je pense que, intérieurement, les deux ont formé comme une seule et unique voie dans la musique. Il a toujours été aussi inspiré par la musique occidentale que par la musique vietnamienne.

Thanh-Dong To-Quoc (2)  est une évocation déchirante de la guerre du Vietnam. Pourtant votre mari se défendait de composer des œuvres à proprement parler « politiques ». 
Pour lui ce n’est pas faire de la politique que de parler d’un pays en guerre, une guerre dont il ressentait toutes les conséquences intérieurement. C’est comme ça que dans sa musique, il exprime cette situation insupportable. 

2. Thanh-Dong To-Quoc (1968) est une œuvre pour récitant, soprano, chœur parlé, ondes Martenot, quatre pianos et six percussions. L’auteure Isabelle Massé la décrit comme « une suite de six courtes pièces mêlant des modes d’émissions vocaux propres au langage de l’avant-garde européen et des instruments occidentaux à des fragments de textes en vietnamien, déclamés par lui-même, du poète contemporain Tô Huu à résonance patriotique. » Le texte de Nguyên Kim Thành, dit Tô Huu (1920-2002), poète, militant et considéré comme le « poète de la révolution », évoque les bombardiers B’52 qui pilonnaient alors le Nord-Vietnam.

Un idéal humaniste traverse son travail, comme en témoigne aussi son œuvre Les Enfants d'Izieu, opéra-oratorio composé en 1993.
Claude Samuel (3)  lui a demandé si écrire une œuvre concernant les enfants d’Izieu  l’intéressait. Il a dit oui. Pas les enfants d’Izieu seulement, mais pour les enfants dans le monde. Il voulait qu’iels aient leur place et qu’iels puissent s’exprimer.(4)

3. Claude Samuel (1931-2020), célèbre critique musical, a notamment été responsable de la programmation du Festival international d'art contemporain de Royan de 1965 à 1972. Il a fondé le Centre Acanthes en 1977, avant de diriger à Radio France le festival Présences entre 1991 et 1997.
4. Isabelle Massé commente ainsi cette œuvre : « Cet idéal humaniste dépassait le cadre du Viêt Nam pour évoquer d’autres tragédies. Ainsi par exemple Les enfants d’Izieu, un opéra-oratorio composé en 1993 à forte résonance idéologique, répondait à cet idéal. Comme le soulignait Dao : « Ayant moi-même connu la guerre, le colonialisme, l’humiliation et bien sûr l’espoir, la liberté, la lutte, je me suis tout de suite senti très proche de cette tragédie » et contre toute attente dans cette partition « les enfants ne meurent pas pour que perdure le souvenir de la barbarie nazie. C’est un symbole, un acte d’amour ». 

Pourriez-vous nous parler des  liens très forts qui l’unissaient au Vietnam, Nguyên Thiên Dao ayant par ailleurs la double nationalité
Ce sont des liens musicaux avant tout. C’est un Vietnamien qui aime son pays parce qu’il trouve que c’est un pays poétique. Un pays qui a une histoire millénaire. Nguyên Thiên Dao venait du nord du Vietnam. Il ne connaissait pas du tout le sud. Ce n’est qu’en 1997, quand le sommet de la Francophonie a été organisé par le Vietnam, qu’il a eu l’occasion de visiter le sud.

Quelles sont les œuvres que vous recommanderiez à quelqu’un qui aurait envie de découvrir la musique de votre mari ?
C’est un sujet très vaste, très personnel. À chacun·e de nous de voir selon le moment, son selon inspiration, pour entrer dans le monde musical de Nguyên Thiên Dao. 

Pouvez-vous dire un mot sur le Fonds Nguyên Thiên Dao, géré par la Fondation Roi Baudouin ?
J’ai commencé à aider les étudiant·e·s en musique parce que Nguyên Thiên Dao, quelques mois avant de partir, s’est dit : « Il est temps maintenant pour moi que je transmette aux jeunes ce que j’ai reçu. »  Quand il est parti, je suis allé frapper à la porte du Conservatoire de Paris et nous avons travaillé ensemble. J’ai demandé à la Fondation Roi Baudouin(5)  de continuer ce que j’avais commencé. Pour que cette possibilité de créer des ponts se poursuive en direction des plus jeunes, afin de créer du lien entre nous tous. 

5. Le Fonds Nguyên Thiên Dao, géré par la Fondation Roi Baudouin, accompagne depuis 2017 divers projets d’étudiants du Conservatoire de Paris, axés notamment sur les échanges internationaux et le dialogue entre les cultures musicales.

Pour conclure cette interview, laissons le dernier mot à Isabelle Massé, auteure d’un livre de référence, Nguyên Thiên Dao : une voie de la musique contemporaine, Orient-Occident, paru en 2015 aux éditions Van de Velde : « Le Viêt Nam a perdu son plus illustre représentant de la musique savante contemporaine vietnamienne de cette seconde partie du XX e siècle. »

Nous vous invitons à découvrir aussi les échanges entre le jeune Nguyên Thiên Dao et son maître, Olivier Messiaen, suivis d’un passionnant entretien avec le critique musical Claude Samuel. Ces documents d’archives sont disponibles en ligne :

Nguyễn Thiên Đạo I Rencontre Orient - Occident I Partie 1/4
Nguyễn Thiên Đạo I Rencontre Orient - Occident I Partie 2/4
Nguyễn Thiên Đạo I Rencontre Orient - Occident I Partie 3/4
Nguyễn Thiên Đạo I Rencontre Orient - Occident I Partie 4/4